SYMBOLISME du TAROT - Introduction - (Rubrique composée par René-Félix BARAT)
Depuis le temps que je suis "en ménage" avec ce livre d'images...
... il faut bien que je t'avoue, Ô Lecteur de Passage, que le Tarot m'en a fait voir de toutes les couleurs. Il m'a mis et continue consciencieusement de me mettre dans tous les états. Jamais un seul instant, ce Compagnon de Fortune ne m'a fichu la paix. Ouverte ou souterraine : c'est la guerre !
D'une certaine façon, je suis d'ores et déjà vaincu. Ou plutôt, parce qu'après tout il s'agit d'un jeu, j'ai perdu la partie. D'ailleurs, même ceux qui ne jouent pas l'ont perdue cette "partie" !
Comme le dit Boèce en sa Consolation de Philosophie (III. 17) - Dame Philosophie dont l'Impératrice du Tarot est la hiératique figure, dite "pérenne", "hermétique", pour la distinguer de l'ensemble des systèmes particuliers à certaine génération de philosophes mélancoliques :
"C'est la sottise des hommes qui divise ce qui est un et simple de sa nature ; et de là vient qu'en s'efforçant d'acquérir une partie d'un tout qui n'a pas de parties, ils n'obtiennent ni cette partie, puisqu'elle n'existe pas, ni le tout puisqu'ils n'y visent point".

Pas question de tricher, de déclarer forfait, de faire machine arrière : Je suis bel et bien mordu à ce Jeu qui est rien moins, tu l'as deviné, que celui de la Vie !
De la Vie et de la Mort.
Un beau Jour en tout cas - Celui de notre rencontre - il est, d'un coup d'un seul, venu à bout des tristes mines d'où je tire, pour un temps encore, mes ors vulgaires.
Il épuise mon trésor.
Incrédule, je mesure, jour après jour, l'ampleur des dégâts...
L'émerveillement qui me laissa jadis sans voix fut irrépressible, un peu comme un fou rire. Il a depuis engendré et laissé place à un curieux processus : Ce que j'aperçus alors, de manière fugitive mais claire, finit petit à petit par devenir l'étalon auquel je toise et tache de conformer ma vie : Une vie qui supporte de moins en moins ce qui pourrait abîmer ce qui est désormais engagé, amoureux que je suis, de la plus exigeante et jalouse des Dames - Est-ce là cette Dame que chantèrent les poètes d'amour courtois ? -
"Celui-là est fou de nature qui, de ce qu'elle veut la reprend ou loue ce qui ne lui plaît pas", dit l'un d'eux.
L'Amoureux désire ardemment tenir la Dame nue contre sa poitrine, mais elle se dérobe sans cesse, tant qu'il ne s'est pas lui-même dépouillé de ses hardes et lavé dans les eaux du Léthé.
Il y a bien loin entre cet Amour-ci et ces amours-là.
Ce Jeu-ci et ces jeux-là.
Cette Alchimie-ci et cette chimie-là.
Cet Art-ci - qualifié de "Royal" - et ces arts-là.
Cette Science-ci et ces sciences-là...
Entre les Uns et les autres, il n'y a pas continuité, mais bien souvent maligne rupture.
Ici, l'Enjeu de la divine partie est rien moins que le Tout - Le Monde - c'est-à-dire l'acquisition de ce Bien ultime et impérissable qu'est la connaissance de soi par le Soi, du soi en Soi. On pourrait avantageusement appeler le Tarot "le Grand Jeu de Reversi", du "Qui perd gagne", car il faut bien - de bonne grâce et non pas "à écorche-cul" - dès à présent, tout mettre sur le tapis, accepter de tout perdre jusqu'à soi-même pour se refaire et peut-être, renaître riche de ce fameux Soi, à jamais.
Le "fin" psychologue - dont l'avis m'importe aussi peu qu'une guigne ! - y verra sans doute une manie, voire une obsession... à tendance mystique !
Le bondieusard pas "catholique", frileux fripé, compassé, prosélyte réducteur
de tête... de "l'orgueil intellectuel" !
L'ami(e)... une passion dévorante, un rival, un refuge étrange et confus, une fumisterie, une curiosité...
Une folie.
Chacun y voit ce qu'il veut.
Toujours est-il que chaque fois que la vie "courante", avec son insidieux cortège d'habitudes sinistres menace d'engourdir notre drôle d'amitié, mine de rien, il me sort un petit machin de son sac à malice.
Une broutille qui vient recentrer mon attention sur quelque chose d'inouï.
Une bagatelle qui vient confirmer que la déflagration sourde, la réaction en chaîne est en cours.
Réaction dont nous sommes la dernière vague, la crête de la vague qui nous pousse vers la fin, nous rattrape perpétuellement au vol et dont le mystérieux épicentre s'éloigne dans la mesure même où nous lui tournons le dos.
Réaction exquise et douloureuse en vérité. Douloureuse pour tout ce qu'elle balaie irrémédiablement - table rasée d'un simple revers de manche - exquise enfin pour tout ce qu'elle fait surgir dans l'ombre même de ce qui s'est évanoui.
Réaction - et ce n'est là que la moindre de ses conséquences - qui rompt de façon méthodique le charme et la fascination que ce monde désenchanté exerce sur la plupart des hommes : Car - il faut s'en convaincre - c'est par le biais subtil du plus formidable des sortilèges que l'esprit du siècle - appelons-le ainsi ! - excellent en l'art de prendre des airs au-dessus de son état, impose sa marque, prolifère et communique sa désolation, sa misère à tout ce qu'il touche de près ou de loin. Étranger à son propre passé - n'en déplaise à ses chercheurs, docteurs et autres spécialistes - à tout le passé en général aussi bien qu'à la plus grande part d’un présent qui subsiste encore malgré tout et d’un futur sur lequel il s’illusionne singulièrement, il tend à infester la planète. Et s'il n’y parvient que trop bien, c’est beaucoup plus par la puissance prodigieuse des moyens de séduction, de persuasion et de suggestion qu'il met en œuvre que par la valeur intrinsèque de ses hypothétiques trouvailles... La Sagesse n'est-elle pas née avec lui ? ... Et cette opinion, largement diffusée, en attendant d'être universellement partagée, outre la plus inébranlable des bonnes consciences, ne lui donne-t-elle pas, par surcroît, d'imprescriptibles droits - intellectuels, moraux, matériels - sur tout, sur tous ?
Multipliant les masques, pipant les dés, brouillant les cartes, il met à sec les bonnes volontés, à sac la bonne foi de ses fidèles, éludant les vraies questions, puis leur substituant une foule de faux problèmes auxquels tous s'évertuent en retour à trouver les plus dispendieuses solutions ; suscitant des maux contre lesquels leurs propres victimes inventent des remèdes d'une brutale efficacité, confortant cette cour reconnaissante et obséquieuse dans un incurable aveuglement...
Au fond, ce qu'il y a de valable en lui et peut faire illusion, ne lui appartient pas : c'est ce dont il n'est pas encore venu à bout ou qui subsiste à son insu. Il n'a que carabistouille en bouche et le seul vrai talent qu'on doit lui reconnaître c'est celui, tout à fait extraordinaire et inégalé, qu'il a pour les affaires juteuses !
Le brillant Hermès est devenu noir, face ou plutôt envers ténébreux du Bateleur que la traitrise a abimé jusqu'à la moëlle.
Au train où vont les choses, le monde entier sera bientôt à vendre. Et comme il sera lui-même le plus offrant, il se possédera jusqu'à la garde mais ne s'appartiendra plus.
Mission accomplie : Le breuvage de la coupe de toutes les libations aura enfin viré à la fiente.
Ainsi, tel l'Escamoteur - à qui on ne le fait pas - sous les traits duquel il sait si bien se montrer lorsqu'il faut, alors que je m'y attends le moins, le Tarot passe-t-il muscade : il exécute - et le mot n'est pas trop fort ! - un numéro de son cru, me sert un petit hors d'oeuvre qu'il tenait bien glacé derrière les fagots, me fait pour la mille et unième fois le fameux "Tour du Bâton" auquel je croyais être rompu.
Tiens, nous nous connaissions à peine, lorsque, au cours de l'une de nos fréquentes entrevues, il me demanda, l'air de ne pas y toucher :
"A propos, sais-tu en quoi consiste l'Art d'Escamotage ? " - rétrospectivement, alors que je retranscris pour toi ses paroles, j'y mets des majuscules ! -
Et avant même que je puisse ouvrir la bouche, il enchaîna :
"Escamar, n'est ni de l'occitan, de l'ancien provençal, du latin ou de l'espagnol populaire... Quoiqu'il soit un peu tout cela à la fois... C'est avant tout un terme, ainsi que le rapporte d'ailleurs Littré, à l'usage des Bohémiens - ces citoyens du monde ! - qui signifie : "ôter l'écaille", enfin... les écailles, car Dieu, dans son immense miséricorde, a tout fait pour que cette subtile opération, tout en étant une, soit cependant faite plurielle... L'Escamoteur est, à proprement parler, "celui qui ôte les écailles..."
- Mais, lui répondis-je, trop pressé sans doute d'étaler ma science, Ménage conteste une telle origine, et Diaz qui l'avance, la trouve lui-même assez douteuse !
- Atout Pique ! coupa-t-il... Au Point où nous en sommes, je suis étonné que cela te surprenne ! Dis-donc, petit morveux, tu ne vas quand même pas, suivant les sales habitudes de ceux qui grouillent au-dehors, avoir le toupet de nous reprocher, à nous, de ne pas être enfants des lumières ? Du reste, si ces enfants-là ne peuvent que nous ignorer, nous, nous ne connaissons que trop la branche dont ils sont issus... D'ailleurs, ce n'est pas "Diaz", mais "Diez", d, i, E, z, Friedrich de son prénom et spécialiste allemand des langues romanes !"
Sous mes yeux écarquillés et à ma bouche-bée, il fit un petit entrechat et entonna :
" Alouette, je te plumerai..."
Puis, martelant chacune des syllabes, il répéta :
" Ce-lui-qui-ô-te-les-é-ca-illes".
Mettant alors un pied en arrière, abaissant jusqu'à terre son curieux chapeau à larges bords, il me fit la révérence en disant :
- Pour te servir !
Après un silence qui me parût insondable, il ajouta, à voix basse, sifflant entre ses dents :
- ... les écailles de ta vieille peau de serpent, peau pourrie, nauséabonde peau de bête,
che è cio, spiriti lenti ?
Qual negligenza, quale stare è questo ?
Correte al monte a spogliarvi lo scoglio,
ch'esser non lascia a voi Dio manifesto.'
De suite, je reconnus le ton et la verve éclatante du fameux "Florentin de nation et non point de moeurs". Ces vers disent à peu près ceci :
Qu'est-cela, esprits paresseux ?
Quelle est cette négligence ? Qu'est-ce que cet arrêt ?
Courrez donc au mont dépouiller cette écaille,
Qui ne vous laisse voir Dieu manifeste !
Je ressentis alors une fatigue vieille comme le monde, remontée du fond des âges, monstrueux poisson ruisselant sorti des eaux de la mémoire.
C'est ce jour-là, m'appuyant sur le bâton qu'il me tendait, que je me mis en route et que chemin faisant, je fus amené à frapper à la porte dérobée de certaine Auberge, plus réputée certes pour son chaland de péquenauds endimanchés que pour la bonté extraordinaire, la rareté et l'extrême finesse des mets que l'on y sert, entre Midi et Minuit... S'enorgueillissent pour la plupart, d'être les hôtes d'une Table qui ne les ravit pas, lorsqu'une seule des miettes données aux chiens et refusées au mendiant qui passe rassasierait mille convives, invitent le premier venu à s'y asseoir pourvu qu'il paie sa note, ajoutent leur grain de sel dans les plats. Au dessert, se piquent de "stratégie", se fixent des "objectifs", mais perdent de vue le Dessein et le Point qu'ils sont sensés viser...
Depuis, avec une poignée de compagnons cosmopolites, connus et inconnus, je vais, nous allons joyeux et graves, un rayon de Soleil planté dans le coeur.
Et de petites impasses en petites passes, de petits détours en petits tours, de petites lames en petites lames ce petit futé m'affûte...
Mais à quel bouquet final, à quel coup de grâce ou botte secrète cet écailleur bariolé me prépare-t-il avec tant d'ardeur, de fermeté et de bienveillance ?
Ne m'a-t-il pas laissé entendre que, pour couronner le tout, il s'effacerait un jour, sans crier gare, nous laissant carrément seuls ?
... En présence du plus beau Tour du Monde !

<><><><><><><><><><><><><><><><><><><><><><><><><><><>
> CONTINUER
|